Une flèche est composée :
• du fût ou hampe en bois (pin, peuplier, chêne ou orme le plus souvent)
• de l’empennage (tri penne la plupart du temps, c'est à dire avec trois ailettes de plume pour stabiliser son vol)
• du fer, pour lequel on peut noter deux types de fixation : une soie (fers 1, 3, 4, 7) ; une douille (fers 2, 5, 6, Cool. La fixation à la soie signifie que la queue du fer est insérée dans la hampe. La douille est quant à elle emboîtée sur le fût.
La longueur de la flèche est variable : les françaises mesurent environ une coudée (50 à 70 cm), les anglaises font de une à 3 coudées (de 90 à 160 cm) car ils utilisent des arcs longs.
Le fer est fixé de deux façons à l’extrémité de la hampe : rivetage pour les fers à douilles (fers 2, 5, 6 et Cool; laçage pour les fers à soie (fers 1, 3, 4 et 7).
Le fer peut présenter des formes assez variables: plat et triangulaire ( type passadoux : 1 ), plat et ovalaire ( type darde : 2 ), en demi - lune ou droit ( type coupe - jarret ou coupe - cordage : 3 et 4 ), en sphère ovoïde creuse (type incendiaire : 5 ), à section carrée ou triangulaire (type bougon ou boujon : 6 ), avec pointes latérales ( type barbelé ou barbillon : 7 et 8 ) très en faveur chez les archers anglais. Chez les Francs, les flèches étaient souvent empoisonnées. Cet usage tend à disparaître de nos jours.
Il fit signe aux étudiants de s'approcher de la table pour mieux examiner les flèches, leurs différences, et imaginer l'impact sur un corps humain.
- Comme vous pouvez le voir ici, les pointes sont très variables, et peuvent donc pénétrer dans la chair, ou l'os, de diverses manières... On établit en général la classification suivante:
• Les poinçons : Appelés bodkins par les anglais, destinés exclusivement à la guerre, où leur fonction est de percer les côtes de mailles et les armures. Ces dernières résistant assez bien à la pénétration des pointes, sont cependant transpercées à courte distance par des pointes lourdes à l'inertie importante. Ces différentes pointes ne sont pas fixées sur le fût, mais simplement emmanchées en force. De la sorte, en retirant la flèche du corps, la pointe reste dans la blessure, augmentant la difficulté d'extraction et les risques de mortalité. Il en est de même pour celles se fichant dans des obstacles ou protections (boucliers, palissades, etc.), le projectile ainsi « désarmé » ne peut être retourné à l'envoyeur.
• Les lames : Elles sont destinées autant à la chasse qu'à la guerre où elles sont utilisées contre la piétaille mal protégée. Leur tranchant parfaitement affûté permet de provoquer des hémorragies importantes.
• Les pointes barbelées : Elles sont utilisées dans presque toutes les guerres contre les piétons mal équipés, mais aussi pour la chasse au gros gibier. Grâce à leurs longs bords tranchants, elles occasionnent de très larges blessures, leur masse permettant un pénétration profonde. Les barbes étant là pour rendre l'extraction de la flèche difficile et réservée à des spécialistes équipés d'instruments chirurgicaux très spécifiques.
• Les pointes à usage très spécifique : La pointe incendiaire, les quatre branches servant à maintenir l'étoupe imprégnée de poix ou autre combustible, le carrelet en bout permet à la flèche de se ficher dans les constructions à détruire par le feu. Les branches, en s'écrasant au moment de l'impact, permettent au produit incendiaire de se retrouver en contact avec le bois ou la matière à enflammer. Cette pointe peut aussi servir à propager des maladies, en propulsant pendant un siège des petits morceaux de viande contaminés que les chiens par exemple vont manger et transmettre à la population. C'est le type même de pointe délicate à réaliser du fait de la double fente dans le métal et de sa soudure en bout pour former la pointe.
• La pointe coupe jarret : sa lame en forme de hache en fait une pointe à trancher sans pénétration, elle est destinée à blesser douloureusement les chevaux, semant ainsi le désordre dans les rangs de la cavalerie.
• La coupe amarre : elle sert à couper les cordages des navires et pour créer des déchirures importantes dans les voilures.
Cette première chose étant dite, il continua
Vous l'avez parfaitement compris, puisqu'on se trouve face à des objets de factures différentes, la façon de procéder sera différent.
Celui qui a décrit le mieux et qui est selon moi un grand chirurgien est Abulcasis (936-1013). Il a inventé beaucoup d'instruments pour la chirurgie justement. Beaucoup de chirurgiens postérieurs à lui se sont inspirés de ses écrits. Mais il ne faut pas oublier que lui-même en a empruntés à Paul Egine. (620-690)
POur ne pas vous embrouiller, je me base sur les écrits les plus récents donc ceux d'Abulcasis.
Parlons d'abord de la localisation. Il y a deux types d'organes qui peuvent être atteints : les organes importants ayant des cavités comme le cerveau, le coeur, le foie, les poumons, les intestins, les reins, la vessie....Si une flèche pénètrent dans ces organes et que vous voyez des signes de mort que je vais vous exposer, inutile de tenter l'extraction et soulager plutôt la personne avant sa fin.
cerveau : violents maux de tête, étourdissement, vertige, injection et inflammation des yeux, rougeur de la langue, convulstions, perversion de l'intelligence, vomissement biliaire, écoulement de sang par les narines ou les oreilles.
coeur : la flèche a des mouvements identiques aux mouvements pulsatoires, un sang noir s'écoule, les extrémités refroidissent, sueur et évanouissement
poumon : sang écumeux, les vaisseaux du cou gonflent, le malade change de couleur, la respiration est haute et il cherche à respirer
membrame (diaphragme) : respiration haute, violente douleur, anhélation et mouvements de toutes les parties situées entre les épaules
foie : douleur violente et écoulement de sang rouge qui rappelle celui du foie
estomac : des aliments non digérés s'échapperont
abdomen : s'échappent de la plaie des matières stercorales, des portions d'épiploon, des intestins.
vessie : souffrance extrême et mort
POur les autres, face, cou, gorge, épaule, bras, épine dorsale, clavicule, cuisse, jambe..... , la guérison est possible si la flèche n'a pas rencontré ni artère ni nerf et si elle n'est pas empoisonnée.
Les blessures par flèches étaient à son avis les plus complexes à soigner du fait qu'il fallait d'abord retirer l'engin. Ce n'était pas comme un coup d'épée franc.
Encore un peu de théorie avant que je ne vous montre le geste à effectuer.
Les variations selon l'enfoncement:
Lorsque la flèche est apparente et peu enfoncée, comme vous l'avez très bien dit tout à l'heure, on la retire souvent par son "chemin" d'entrée, afin d'éviter de créer une autre plaie.
Pour y parvenir, on utilise des pinces dites à bec d'oiseau pour s'en saisir, ou pinces d'Abulcassis.
Ce sont des pinces à bords dentelés permettant une bonne prise. Certains modèles présentent des bords coupants pour enlever les bouts d'os qui gêneraient. Pour faciliter l'extraction il est conseillé d'effectuer un mouvement de torsion de la main avec la pince.
Guillaume de Salicet conseille de traiter l’hémorragie éventuelle avant tout, puis d'appliquer un produit pour mollifier les chairs (huile de rosat + graisse de poule + jaune d’œuf + safran mêlés à chaud), pendant 3 à 5 jours si le trait ne vient pas facilement.
Henri de Mondeville conseille l'extraction au plus tôt, soit juste après la préparation des produits nécessaires à la plaie après le retrait (antihémorragiques ou autres), et le retrait ou la lacération de l’armure, et après avoir coupé la hampe de la flèche.
Lorsque la flèche est plus enfoncée, on la fait en général sortir à l'opposé de son point d'entrée, d'autant que certaines hampes, comme nous l'avons vu, ne sont qu'emboîtées sur la pointe et sortent en laissant le fer à l'intérieur.
- Dès Paul d'Egine (625-690), on utilise des repoussoirs pour y parvenir.
Le praticien sonde d'abord la blessure. S'il s'avère que le fer est prêt à sortir du côté opposé, il utilise l'impulsoir. En passant par le trou laissé par la flèche, il vient loger son instrument dans la douille de la flèche et la pousse en avant. Quand cette dernière pointe de l'autre côté, les chairs se déforment, le praticien pratique alors une coupure en croix pour limiter la déchirure des tissus et une dernière impulsion lui permet d'extraire la flèche.
Si la flèche est profondément enfouie mais pas au point d'utiliser l'impulsoir et encore moins la pince, il n'y a plus qu'une solution : inciser autour de la plaie. Abulcassis précise « seulement s'il n'y a pas d'os, de nerf ou de vaisseaux sanguins dans le voisinage ». Dès que l'ouverture est assez grande, on utilise la pince pour extraire le fer.
C'est à ce moment-là que des assistants lui apportèrent le cobbaye du jour, c'est à dire un cochon mort et qui sera utilisé pour l'exercice.
Léanore regarda ses élèves puis choisit une flèche qu'elle planta dans le gras bien dodu du fessier porcin. Puis une seconde alla se ficher dans un des membres de l'animal en veillant à ce que le trait soit enfoncé dans l'os. Enfin elle choisit une flèche barbelée qui se trouva aussi plantée dans le flanc
Alors voyons les différentes manières. Tout d'abord commençons par celle-ci qui est dans la chair. On pourrait croire que c'est la plus facile.
Paul d’Egine se proposait de ligaturer d’abord les vaisseaux environnants, mais je vous laisse imaginer l'étendue du travail que cela représente. Et puis si cela permet de traiter au mieux l'hémorragie, cela ne règle pas la question du retrait lui-même.
Albucassis de Cordoue et Constantin l’Africain au XIème siècle conseillent de faire un essai de retrait immédiat, et sinon d'attendre la suppuration et de retenter. Je ne m'y attarde pas, flèche apparente ou pas, leur idée reste la même que celle vue un peu plus tôt.
Je pencherais pour l'école de Mondeville et le retrait immédiat avec une technique différente selon l'enfoncement.
Si la Flèche est dans un os ou la tête, Paul d’Egine conseille la trépanation pour le retrait,. Nous verrons la trépanation en l'occurrence du crâne un peu plus tard dans la session. Sachez dès à présent que trépanation signifie "forer l'os".
Abulcassis et Constantin conseillent de nouveau de procéder par étapes. Autrement dit de faire un premier essai de retrait en faisant céder l’os, d'attendre et de reproduire les essais sur plusieurs jours. Et de ne forer l’os ou trépaner la tête (pour la tête, sauf si signes de cerveau touché) qu'en désespoir de cause.
Le retrait des flèches barbelées sera plus délicat comme vous l'avez bien dit tout à l'heure.
Les barbes sont là pour rendre l'extraction de la flèche difficile et réservée à des spécialistes équipés d'instruments chirurgicaux très spécifiques : « Si le fer estoit barbelé, ainsi que souvent est la flèche angloise, et estoit à l'endroit d'un os, ou inséré dedans,... lors ne le convient pousser, mais plutôt-dilater la plaie en évitant les nerfs et les grands vaisseaux, ainsi que le fait un bon et expert chirurgien anatomique, aussi faut-il appliquer un dilatoire, cavé en sa partie intérieure, en sorte que l'on puisse prendre les deux ailes du fer, puis avec le bec de grüe, le tenir ferme, et tirer les trois ensemble ».
Ainsi Roger de Parme proposait, il y a un peu plus de deux siècles, de procéder par introduction d’une pince ou d’un petit tube concave pour tordre les barbes avant le retrait
Guillaume de Salicet le suit mais introduit quant à lui une canule d’airain pour plier les barbes avant de tirer la flèche hors de la blessure.
Dans les deux cas, cela signifie qu'il faut maintenir deux tubes ou canules contre les barbes, et tirer la flèche en même temps, lentement. Je vous laisse imaginer la difficulté de l'opération et le soin dont il faut faire preuve.
Il laissa les étudiantes finir de prendre des notes puis continua
Comme vous vous en doutez, la plupart des cas, cela se passera sur un champ de bataille. pensez à avoir soit un forgeron avec vous, soit le matériel adapté au travail du métal.
La première opération est donc le retrait de son équipement militaire, afin de dégager la plaie. Puis on prépare ses remèdes: antihémorragiques, désinfectants, cicatrisants. Afin de les avoir à portée de main ensuite, sans avoir à y repenser. Car une fois occupé à sonder la plaie pour trouver le fer, ou à retirer le trait directement, vous ne pourrez pas beaucoup vous interrompre. Avoir un assistant peut-être une bonne idée également. Un bon infirmier par exemple. Et bien sûr, veillez à l'état de vos instruments comme pour chaque opération.
Maintenant sachez aussi que tout ne se passe pas forcément comme on veut malgré nos précautions.
Parfois le patient garde le fer fiché dans sa chair tel Guillebert de Lannoy en 1412 : « je fus blessé à la cuisse par un vireton (carreau d'arbalète) et j'ai gardé la pointe dans la cuisse pendant plus de neuf mois ».
Au XIe siècle, Abulcassis parle déjà de cas similaires, de blessures qui cicatrisent par-dessus le fer, qui parfois se rappelle à son malheureux propriétaire après quelque temps. Dans ce cas, il faut inciser et utiliser des pommades caustiques pour le dégager avant de l'extraire.
Soin final :
Une fois le fer extrait, on traite la blessure comme les blessures classiques, avec des remèdes adoucissants (désinfectants et cicatrisants), mais la profondeur des plaies, les fragments de tissus emportés par la pointe souvent rouillée et souillée de terre ou autre, ont une fâcheuse tendance à causer des complications.
Soyez donc minutieux sur le suivi après le retrait de la flèche. Changez les pansements fréquemment, et guettez les signes d'infection de la plaie ou de fièvre.
Traditionnellement, le patient est soumis à la saignée, au lavement (clystère), et à la diète pendant deux semaines. Personnellement, je trouve qu'un homme ayant déjà perdu du sang ne devrait pas être soumis à la saignée et recevoir une alimentation propre à lui redonner des forces, quoique progressivement. Je conseillerais aussi le recours à l'achilée, afin d'aider à la cicatrisation interne autant qu'externe.